Exilatoire I
Il aura fallu que les bombes se mettent à pleuvoir sur la France pour que je sois loin. La terre, ma terre, celle qui m’a vu naître et qui n’a su que me la faire haïr, comme une mère abusive et menteuse. Je te regarde de loin, des camées magnétiques me parviennent sans cesse de l’autre bout, ma terre, ma terre, mon pays comme les relents simplistes d’une chanson populaire qui bercerait le retour des soldats. Mes forets, mes rivières et à quoi riment toutes possessions enfantines, où seules les tombes de nos mémoires pourraient compter comme la marque de nos descendances, chassés ici, jetés là-bas, la valse des ignominies humaines ne se comptent plus mais se répertorient avec un cynisme invisible, dissimulé, ce même cynisme si apparaissant réduirait toute tentative de sourire, angélique, à néant. J’attends un signe, absurde, comme un oiseau la fraîcheur ou la chaleur pour me diriger vers le nord ou le sud.
Exilatoire II
Je n’ai plus de force et pourtant je tiens debout
je n’ai aucun talent et pourtant des heures je passe à fixer cet écran
je n’ai pas de vision ni de poésie mais comme dans le noir absolu, les formes apparaissent,
féconde et capricieuse, à déverser dans mon esprit ces images inutiles, mythiques ou mensongères des vies mortes qui portent le génie ou son récit, ne vivant que dans la mémoire et qui n’est plus car la mort n’est que la vie raconté par les autres quand encore certains s’en souviennent et la célèbrent.
Je suis un exilé de tout, un exilé de la mémoire, un exilé du beat, un exilé de ma culture où comme d’autres illustres avant moi, ont fui par nécessité, ou par bourgeoisie la ruche devenue dangereuse pour errer, peureux, dans les plis de leurs destins, de leurs histoires qui aujourd’hui, alors que la fin a étalé sans honte un voile mystique et gourmand sur leurs visages désignés, on se transporte et envie l’ivrognerie, la douleur, l’attentat, la déportation, vecteur, porte transcendante pour l’expression du génie qui devient l’ultime résistance à la conjonction éternelle de la disparition.
Un crane lisse, osseux, ses trous comme seul souvenir de sa plénitude dévale la dune de sable brûlant, seul, si seul et sec, brillant, il ne fond pas sous les milles degrés de la fin de monde même abandonnés par les arbres et le vert. Tout est jaune et bleu et blanc pour toujours dans un monde ou le soleil, implosant, dévastant et brûlant ne se couchera plus jamais.
Et le crane, dernier rebut de l’homme roule, souriant, sans dent, jusqu’au fond de la dune, immense, seule montagne vestige de l’horizon dont plus personne ne peut se souvenir.
Je suis ce crane qui dévale, sans chair, sans consistance, et c’est de la poésie parce que je le décide, personne ne le conteste, personne ne vit plus, la mémoire n’est que mienne et j’érige sans honte des monuments aux mythes que j’invente seul, que je défend seul et des bibliothèques magiques s’échafaudent dans le crane vide qui reste à la surface, l’idée d’un cimetière fait sourire la dune, compagnon du vent qui souffle les derniers sons d’un planète histoire enfer malmené par la lutte de la mémoire des hommes, la mémoire vouée sans aucun possible à la disparition.
Petitesse du crane freiné, ensablé, sourire édenté éternel, larme de lumière aveuglée et fixité du temps sans plus d’avant, morcelé pour ce qui ne reste rien.