12.26.2019
Le feu
Le feu
Ça brûle ? Ça brûle ! Le feu, partout ! Le feu est partout!
Ça brûle ? Quoi brûle ? Tout brûle.
Chut !
Loin de France j’erre dans des backrooms, je baise un peu comme ça, facile, le tout venant, militaires, hommes d’affaires, bottes en cuir et costumes trois pièces,
tant que ça veut, tant que ça séduit, suis pas trop dur en affaire.
Je profite de ma vie, je découvre ma vie,
la vie est belle
la vie est belle parce que je prends tout ce que j’y veux.
Même s’il fait froid,
automne,
je me gave de viande rouge et écume les rues, mes passions en tête…
Ça brûle! Ça brûle !
Écoute… ça brûle et ça fume !
c’est la guerre…
Je dis : y’a jamais la guerre ici. Depuis que les allemands sont partis, c’est la paix chez moi.
Les bières du soir, je les bois comme des candy up
c’est pas cher la vie ici,
l’euro écrase tout, monnaie des rois, devise des riches.
Sur le plus beau des balcons, au milieu des bourgeois qui me prennent pour l’un des leurs,
je regarde la scène, je vois les chanteurs, je vois les danseuses, ça hurle, ça sort, ça traverse.
Coupe de champagne à l’entracte,
y a les bijoux sur les oreilles et les manteaux cent pour cent bêtes mignonnes,
je suis un peu l’un des leurs.
Ça brûle ! Ça brûle vraiment ! Faut pas rentrer! Les gens ont peur !
y’a le faste de ors et des dorures, le confort et la chaleur
les écrans qui scintillent de stars
ici, moi aussi, je suis une star.
je veux pas voir ailleurs,
j’ai le droit de regarder ailleurs
j’ai le droit de tous les droits, aveugle.
Dans les musées d’histoire, on navigue dans les tortures, on visite en grappe les cachots,
ça sent le sang vieux des dictatures, des tyrans et des autres.
Témoin de toute les maltraitances, frontières en responsabilité,
et on se dit…
on est bien, nous, dans la paix.
La terreur s’ étale en vitrine,
on voit bien qu’elle est en cage, la terreur, qu’elle est Histoire,
apprivoisée et inoffensive, on souffle sur les braises de la paix.
On est vraiment bien dans la paix.
ON EST BIEN DANS LA PAIX
PAUSE 1 2 3 4
je remonte ma braguette
je vois
enfin je vois un peu
Ne plus regarder ailleurs. La paix les yeux grand ouvert
ça brûle ici et là, ça s’effondre depuis en bas !
Oui c’est la guerre… Chez moi ?
c’est quoi chez moi ?
Normalement la guerre c’est jamais chez moi, ça peut être avec moi mais c’est jamais chez moi.
Nous vivons en paix, notre démocratie c’est la paix…
Paris is shut down, voix anxieuse d’un oncle Sam public interdit face à la violence.
Faut dire qu’aux États-Unis, les violences et ses polices sonnent comme des hivers qui s’terminent jamais.
Mais pas ici.
Ici c’est la France.
Ici, c’est la paix.
Ça dit à la télévision : les parisiennes et les parisiennes ne sortent plus de chez eux.
Ils ont peur.
Sur les graphiques, Paris, riche royauté du haut de sa tour est la spectatrice d’un dragon fou
que la mise à feu met en joie.
Et le feu est partout, la France brûle.
Alors pour avoir la paix, il faut encore plus de paix.
Quand ça dérape,
quand la paix de cette République si assourdissante rend folle,
cette paix devient visiblement sanguinaire mais elle se nomme toute seule encore PAIX.
Je suis la paix elle chuchote et frappe…
Mets tes mains autour de ta bouche et écrase,
la paix elle dit.
La paix, elle institue le monopole de la violence, la répression et les manœuvres pour le maintien de l’ordre juste,
comme une évidence, oui l’évidence.
… PAUSE
Et c’est toujours la faute des autres.
On les connaît, nos ennemis intérieurs, les pauvres, les marginaux, les femmes, les pas-blancs, les jeunes ou les trop vieux. Ils servent à rien dans ce monde en paix.
On leur dit R tant qu’ils restent tapis sous les semelles de la paix toute émoji grand sourire,
un flashball dissimulé derrière son drapeau blanc quand même.
État d’urgence en conséquence,
à l’époque c’était juste pour un peu de paix supplémentaire.
Vieille loi relique de la guerre d’Algérie, on s’en souvient comme d’un vieil oncle.
Maintenant, pour la paix totale, l’état d’urgence c’est l’état normal.
Et dans cette paix, moi, j’ai le droit de tout et surtout de regarder ailleurs.
Et quand je ne regarde plus ailleurs, je me demande si c’est chez moi ici ? c’est chez moi que ça brûle ?
Ça brûle ! Ça brûle vraiment ! Ça brûle depuis longtemps…
Je viens des centres
et les marges,
il est facile de pas les voir, on nous invite, distingué, à tourner la tête pour pas la baisser.
À Paris, c’est facile de flouter le monde de l’autre côté du périf’,
on arrive même à flouter ceucelles qui dorment sur les artères du centre-ville.
Ne regarde pas
ne regarde pas
rien à voir circulez.
R-a-v
y’a R
chut et finis ton assiette.
Ça brûle chez moi ? On me dis que ça brûle chez moi parce que le feu se rapproche du centre.
Sinon on ne dirait rien. Ça brûlerait c’est tout.
Alors peut-être ça sert le feu ?
Les chemins, ceux qui permettent de voir, existent même si les panneaux ou les routes se veulent illisibles, absents des cartes,
même si le monde en paix fait sa force de les cacher, ils ne sont pas si dissimulés, pas si invisibles, nous sommes certaines à vouloir ardemment les trouver.
Le feu a fonction de repère.
Avec le feu, on voit dans le nuit.
Et puis avec le feu, on voit un peu mieux la vrai visage de la paix…
Comme à Alger-hong-Kong-Santiago-Exárcheia-les-champs-Élysées-Quito-Beyrouth-Téhéran…
Ça brûle partout ! c’est la paix partout.