L. Bigòrra —————————————- Totot El Toto —————– Écriture et Traitrise
Devenir Folle – Chapitre 1
Categories: prose, roman - fiction

Je suis assise à côté d’elle. Elle je suis ta mère, elle me l’a dit sur le parking deux fois. Je suis ta mère, tout va bien se passer. Viens avec moi Baptiste. Arrête de gesticuler. Je gesticule. Ça doit vouloir dire quand les mains et les pieds ils veulent aller vers l’est, le sud, le nord et l’ouest en même temps. J’ai l’impression de ressembler au losange d’un cerf-volant. Les membres se déclarent l’indépendance, c’est le bordel. Je me dis aussi que ça veut rien dire.

     La femme à côté de moi pose sa main sur la mienne. Elle est délicate sa caresse, elle redoute que je bouge ma main, que je me dérobe. Il y a cette voix sentencieuse qui me répète, c’est ta mère, be nice. Je regarde autour de moi, urgence psy, ça ressemble pas à un hosto de campagne. C’est blanc, c’est brillant. Tiens toi tranquille elle fait, elle serre ma main. Une main plus autoritaire que sur le parking. Next level. Ce mal de tête, j’ai trop mal à la tête. Je suis en boucle, les pulsations sans répit qui cognent la gélatine, la douleur, free party le préfet a pas dit oui. Y’a mon cœur qui s’y met, je vais gerber. Je sais que je peux pas identifier tous les signaux.

     Les dames en blanc, les hommes en blanc, j’en ai pas trop l’habitude, mais là je m’en fous. Je la regarde la femme à côté de moi, la mère de moi une infirmière insiste avec ses doigts qui pointent de elle vers moi. Sa bouche est déstructurée par l’effort d’articulation. Je la fixe, elle doute que j’ai compris, elle regarde la femme à côté de moi. Rien. Sa main presse la mienne. Sa main se prépare à me conduire quelque part. Cette main prend des pincettes. Pincettes pincettes je rigole tout fort. Pourquoi tu ris ? elle me demande la mère. Dans son tu ris, y’a du il est fou, il me fait peur et ses yeux la trahissent, ses yeux trahissent son amour. L’amour se dissout dans la peur de moi.

     J’enlève mes baskets,Nike air 90 blanches. Elles sont classes, couleur d’asile javel. Je les place à la main sous le banc métallique, je ne porte pas de chaussette. Ma tête s’est approchée de mes pieds pour glisser mes baskets sous le banc. Mes yeux repèrent le pointu de mes ongles de pieds. Sales et gris, sale c’est pas hôpital. Je regarde autour de moi, j’ai peur qu’on m’engueule. Ça se fait pas d’aller là où je suis suis avec des ongles pareils. Je suis où déjà ? C’est qui la femme à côté de moi. Urgence. La mère. Mes ongles. Tu as des ciseaux je lui demande. Malaise. Je vais pas me couper les cheveux je la rassure. Ils sont trop courts de toute façon. Je tire sur les pointes de mes cheveux, un centimètre. Elle pense ouf. Elle dit oui bien sûr, sourire. Je pointe de l’index mes orteils que je soulève du sol, parallèle, un coupe ongle sinon. Elle sort de son petit sac à dos bleu marine des cigarettes, un porte-monnaie et des petits ciseaux de couturière ressemblant à un oiseau genre alsacien ou du nord ou des russes. Tu veux te couper les ongles de tes pieds elle m’interroge. Je veux que tu me coupes les ongles. Malaise. Elle est pas grande je réalise quand elle se met debout, ou je prends beaucoup de place d’un coup. J’attends je dis plus rien, mon ordre a été donné. Elle s’accroupit. Elle est résignée, je garde un œil sur elle et sur toute la salle bien remplie. Ils sont là pour quoi tout ceux là ? Je vais pas leur demander mais je garde un œil. T’as pris un ticket je lui demande alors que d’accroupie elle passe sur les genoux. Clac. Articulation qui craque. Baisse la tête parce que tout le monde te regarde, je fais comme si de rien. Genou démembré mais je garde mes ongles en tête. Faudrait pas que je griffe sans volonté.

     Vite rire, tu pars en morceaux je lui dis en bougeant mes orteils sur un rythme que je vois mais qui reste sourd. Elle est où mon épée que je l’adoube le palefrenier ? Je garde mon rire dans mon intérieur. Malaise. Céphalés. Je vais craquer, crane fracassé et tout qui s’arrête. Silence. C’est quoi la phrase qui me fait sourire là ? Y’a des mots qui pulsent et voyagent dans des contrées cornées derrière les yeux, ils s’interceptent, se configurent et puis s’en vont. Ils laissent dans leur départ des chemtrails. Sans ciel.
Allez on y va. Si si c’est le moment, ils nous attendent dans la salle 19.

     La tempête est dans une phase d’accalmie. Je me laisse être accompagné, malgré l’humiliation. Malgré l’infantilisation. Ils sont en ligne, blouse blanche et chaussures sans cohérence. Baptiste on me dit. Monsieur X et ça me regarde de tous les côtés alors je comprends que c’est moi. Je réponds oui c’est moi. Bon élève. Pas de mémoire, quand ma tête bouge du sol au plafond, c’est la lessiveuse, plus blanc que blanc. Essoré le souvenir. Comment vous vous sentez ? Je sais pas vraiment d’où elle vient la voix, elle est collective je m’accorde. J’ai les oreilles qui entendent, je montre mes oreilles. Premier de la classe. Il faut que je raconte ce qui m’arrive, je raconte ce qui m’arrive. Mal de tête, je ne reconnais pas les lettres, ni les signes. Mais j’ai pas oublié les lettres et les signes, on arrive plus à communiquer nous autres. Un flot de mots submergent mon audience, un peu rock star malade mental. J’ai pas encore 27 ans il faut dire. Le bloc en blouse me demande pourquoi ? Trop jeune pour une mort de cinéma. Ça sourit je crois mais pas la femme à côté de moi, fidèle, toujours là. Elle rapetisse un moment, elle s’assoit.

     Ha oui la drogue, j’ai beaucoup de choses à dire sur le sujet. Je reste debout pour appuyer mon récit. Tazs, coke et speed, l’un après l’autre et toutes en même temps. Je souffle sur mes doigts, éteindre l’incendie psychédélique de mes souvenirs. Elle rapetisse encore la femme à côté de moi, elle enlève ses lunettes. Ça tourne un peu plus vite et je m’agrippe à l’air autour de moi mais ça marche pas trop. Je m’enfonce un pied dans le lino et personne ne rigole même si je fais le clown. Je suis content de savoir que mes ongles sont bien coupés, suis rassuré.

Noir.

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